Printemps

 

D’un premier bonsaï refleuri en 2014 à l’aide de peaux mortes et de rognures d’ongles, Lionel Sabatté entame une série d’oeuvres intitulées Printemps (2015-2016-2017), des arbres morts auxquels il donne une seconde vie grâce à une floraison artificielle. La branche de mûrier de la cour des Musées Gadagne ne dérogent pas à la règle : les branches desséchées bourgeonnent à nouveau de ces fleurs « couleur de peau » qui confèrent à l’oeuvre un double effet d’attraction et de répulsion.

L’art, par son pouvoir d’embellissement, transforme la dégénérescence du corps et les résidus qui en découlent. L’objet se transcende : il est sublimé pour accéder aux voies du beau et du grandiose. L’esthétique gagne sa place dans le regard porté sur ce que l’homme rejette par nature, dégoût, et sans doute un peu par habitude. Les fleurs en peaux mortes de Lionel Sabatté nous rappellent que même la beauté de la rose peut être trahie : « comme à cette fleur, la vieillesse fera ternir votre beauté » … Les fondements de ce que l’on rattache traditionnellement à l’ornement sont ainsi bouleversés : si la beauté des pétales des fleurs tendent vers le ciel et se font un symbole du soleil en raison de leur forme étoilée, leurs racines plongent au plus profond d’une terre composée « de fumier, de vermine ». La fleur plus que tout autre végétal porte en elle cette ambivalence entre beauté et répugnance, incessamment tiraillée entre enfer et ciel. Le passage de l’un à l’autre se fait à travers un processus cyclique, celui de la vie qui croît sur la mort : le caractère éphémère de la beauté terrestre est ainsi signifié à travers la création de ces fleurs faites de peau humaine, renforçant cette dimension érotique à laquelle les fleurs sont généralement assimilées. Dans un renversement spatial, ces peaux de pieds humains qui foulaient jadis le sol se voient aujourd’hui tendre vers le ciel. Elles nous rappellent que « notre corps est tel une fleur qui éclôt et déjà bientôt se fane ».

Cette branche de mûrier de vers à soie sont enfin l’occasion de rendre hommage à l’histoire de la ville de Lyon : s’inscrivant dans une tradition de production de soieries initiée au XVème siècle, ils célèbrent également le 400e anniversaire de la mort d’Olivier de Serre qui fit de Lyon la capitale de la soie. L’installation met ainsi à l’honneur celle qui fut autrefois la plus précieuse des marchandises et qui fut au coeur des échanges entre l’Asie et l’Europe pendant des siècles, transitant sur la fameuse Route de la soie. Une notion d’échange, de parcours et de voyage qui entre en résonance avec toute la symbolique portée par les peaux de pieds humains ayant servis à créer les fleurs des mûriers. Dans une hybridation entre nature et culture, l’oeuvre -à l’instar de la production de la soie- symbolise cette interdépendance entre l’homme et la nature ainsi que le mélange des cultures (et des ADN) qui nous relient.

Lisa Toubas pour l’exposition « Qui sait combien de fleurs ont dû tomber », 2019