La Morsure de l’air
Galerie Ceysson & Bénétière, Paris, France
22 Mars – 19 Mai 2018
Trente mille ans, ces mains-là, noires.
La réfraction de la lumière sur la mer fait frémir la paroi de pierre.
Marguerite Duras, Les Mains négatives, 1979
Lionel Sabatté ne s’arrête pas d’aller réveiller les origines. Ainsi, nous rencontrerons là des créatures primitives, évoquant les grottes pariétales : ici, de rares oiseaux pris sur les parois granitiques de l’art rupestre, capturés dans l’élan de leurs ailes écartelées, parmi d’autres formes de vie inconnues que l’on ne peut que deviner. Ces créatures d’augure sont traquées dans la matière-même, apparaissant subitement, parfois dans leur destruction, en des concrétions volcaniques, soufrées, et quelques amas de cratères. Les œuvres qui vous font face sont des tableaux de métal. Cette technique apporte à l’artiste ce qu’il cherchait dans la peinture, lorsqu’à plat, déjà, il faisait s’accoupler les contraires, créant des explosions organiques, des circonvolutions astrales, et des flaques de pétrole acide. Mais ici, le geste est plus direct, incisif, concrètement corrosif, offert à ce qui dévore cruellement la plaque, la faisant parler, s’exprimer, dans sa rouille. Les couleurs sont celles de l’oxydation ferreuse, du brun orangé, roussâtre, de ce qui a été mordu, lente chimie d’acier en réponse. Les pulsations du vivant sont regardées dans les yeux, pour ce qu’elles sont, sans hymne glorieux à la nature éternelle. Il s’agirait en réalité du contraire : l’énergie du vivant est toujours une énergie de mort, les deux vont ensemble, de pair, infiniment cycliques. En respirant, nous nous promettons à la disparition : la respiration qui donne la vie est aussi la lente consumation de nos énergies vitales. Qui accepterait de ne pas respirer serait déjà aboli. Car il faut respirer pour vivre, et pour mourir, c’est-à-dire pour continuer à s’adresser, pour conjurer, pour peindre, pour créer. Ces « amorces de figuration » sont arrivées en cherchant des ours — ces êtres aux pelages denses et sombres, aux pattes ancrées dans le sol, en voie d’extinction — raconte l’artiste, ouvrant le frêle passage de son bestiaire sauvage à la confusion des règnes. Ces formes surgissantes ont appelé la morsure bronzée de l’acier. Les surfaces excavées sur lesquelles elles semblent se vanter abstraitement sont aussi coralliennes, lagons des mers du Sud toujours lointainement fantasmés qui reviennent par vagues inconscientes, reflétant le ciel turquoise dont ils deviennent des cartographies en miroir ; pendant que les stalagmites et les stalactites condensent et pétrifient ce qui reste, en des murailles évidées du temps. Le regard s’arrête enfin sur des oiseaux de ciment ponctuant, par leur dynamique et leur marche arrêtée, l’espace de la galerie, et dont on aimerait accompagner l’envolée imaginable et possible.
Léa Bismuth
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