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LIONEL SABATTÉ À LA GROTTE DE BÉDEILHAC
IN SITU, PATRIMOINE ET ART CONTEMPORAIN – ARIÈGE - 2019

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Les larmes de l'éléphant, 2019
Ciment, ferraille et fibres végétales
6 sculptures de 3m chaque

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Les larmes de l'éléphant, crédits photos : Luc Jennepin

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La bête de Bédeilhac, 2019
Ciment, ferraille et fibres végétales
140 x 170 x 60 cm

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La bête de Bédeilhac, crédits photos : Luc Jennepin

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Conversation entre Lionel Sabatté et Pascal Pique, 2019

Pascal Pique : La grotte de Bédeilhac est l’une des plus impressionnantes qu’il soit donné de voir avec son entrée monumentale et l’étonnante diversité des œuvres d’art préhistoriques. Vous allez habitez cette béance avec un groupe de sculptures aux formes humaines. Avec une tribu en quelque sorte. Qui sont-ils plus exactement ? Des géants néandertaliens d’un autre monde, des gardiens d’un trésor enfoui, ou des réfugiés fuyant la nouvelle apocalypse ?

Lionel Sabatté : J’ai choisi de réaliser un groupe de personnages dont le nombre reste à déterminer. Mais tout va dépendre du type d’individu qui va apparaître. Ils seront en ciment et en fibre végétale. Je vais les découvrir en les créant dans la grotte. Je sais qu’ils vont exister en rapport avec elle. Ce ne seront pas des Néandertaliens mais je suis assez fasciné par cette humanité qui a partagé celle de l’homo sapiens. Elle était pourtant très différente avec une culture et des états de consciences autres. Je m’intéresse à toutes les questions autour de Neandertal. Quand j’étais enfant on le voyait comme un attardé c’était l’homme des cavernes. Alors que maintenant il est considéré comme une autre forme d’humanité qui semble t-il s’est fondue dans la notre car nous avons des gènes de Neandertal. Mes personnages sont un peu de cet ordre là. C’est-à-dire une autre humanité, soit en devenir, soit disparue. Ce qui bien entendu interroge sur notre propre humanité.

PP : A quelle temporalité rattacher vos humanoïdes qui semblent exister entre deux états ou deux étapes. Ils oscillent entre dissolution et régénération. Comme si ces êtres hésitaient à apparaître ou à disparaître. Faut-il y voir une allusion à la situation actuelle de la planète terre et de ses occupants ?

LS : Cela pourrait concerner n’importe quelle période de l’humanité. Je ressens quelque chose de la condition humaine en général, qu’elle soit passée, présente ou future. Mais aussi du vivant en tant que tel avec sa vibration entre destruction et création. J’aime bien la définition biologique du vivant comme quelque chose qui peut se reproduire et se détruire. Effectivement cela fait fortement écho à des enjeux écologiques actuels ou même sociaux avec les mouvements récents. Cela parle en effet d’une humanité à reconstruire mais aussi à soigner. Prendre soin est important. C’est aussi pour cela que j’utilise le curcuma. J’aime bien l’idée d’épicer le ciment.

PP : Vous avez choisi de réaliser vos sculptures sur place, en les montant directement à l’entrée de la grotte. N’est-ce pas une véritable performance en fait ? Pas loin de ce que vous avez réalisé à la Maison rouge à Paris en 2018 avec cette incroyable construction très organique mais sans habitants ?

LS : Effectivement c’est un peu la suite de la « demeure » et du premier groupe de personnages que j’avais réalisé à Los Angeles, ou ceux pour Nuit blanche à Paris. J’ai beaucoup aimé le côté performance de ces réalisations avec le temps imposé. Mais sans les limites ni les contraintes du transport etc. Ce qui permet en fait plus de liberté dans le travail. Ici, cette manière de créer in situ est aussi plus en adéquation avec la grotte et le projet d’interagir avec elle. C’est aussi une épreuve physique car c’est un vrai challenge de se confronter comme ça à la matière du béton et de la ferraille. J’aime beaucoup car cela induit un certain lâcher prise dans la mesure ou c’est le corps qui construit presque de lui même. On est vraiment dans l’effort et dans l’épuisement. J’ai eu envie d’utiliser le ciment dans la grotte car il constitue les parois de notre époque. Il y a aussi la volonté de faire revenir ce matériau qui est une roche déshydratée à son origine naturelle, celle du rocher. Et le désir aussi d’amener le ciment à la chair. C’est pour cela qu’il est teinté en rouge


PP : Pour préparer cette exposition nous avons visité la grotte et découvert ensemble les œuvres préhistoriques qui sont au fond de la cavité. Je vous ai observé durant cette visite. Vous étiez à la fois intéressé par le site et la diversité des techniques utilisées mais aussi très touché et très ému

LS : C’est vraiment une grande chance de créer dans Bédeilhac. Je n’aurais jamais imaginé que cela soit possible. Mon premier grand choc artistique a été de visiter Lascaux et Rouffignac alors que j’étais en primaire à Montauban. Ce qui m’a mis dans une sorte de vertige temporel que j’ai ressenti très fortement. C’est aussi grâce à mon père qui est un passionné d’histoire et qui m’a fait percevoir cela. Je me souviens aussi d’une image de Lascaux dans les toilettes à la maison que j’ai vue pendant toute mon enfance. C’est donc assez présent dans mon histoire et dans mon travail. Il y a une richesse plastique incroyable dans l’art de la préhistoire qui est à la fois puissance et fragilité.

PP : Que ressentez vous face à cet art de la préhistoire à Bédeilhac ?

LS : Quand on est en prise directe avec cet art on ressent un vertige dû aux sensations paradoxales d’un temps très éloigné et d’une vraie continuité qui se mêlent. C’est comme faire une boucle entre maintenant et il y a 15 000 ou 30 000 ans. J’avais été frappé par cet éloignement et cette proximité étant enfant. C’est ce que ressent encore plus fortement aujourd’hui devant dans les traces peintes ou gravées qui portent ces deux choses. Ceci me procure de profondes émotions en tant qu’artiste. La grotte a d’ailleurs peut-être été une sorte d’école de l’art tel que nous le pratiquons aujourd’hui. Une autre chose m’a frappé dans cette grotte, c’est la question des positions adoptées pour peindre ou sculpter. On voit presque la gestuelle, ce qui donne une présence très physique et occasionne une sensation de proximité. Et puis il y a aussi cette sensation très particulière quand l’on pénètre la terre. Ce que j’aime beaucoup aussi à Bédeilhac c’est l’eau que l’on trouve à l’intérieur et qui opère comme un liant. Je l’ai goutée.Tout cela met en lien notre époque avec d’autres respirations.

PP : Dans certaines mythologies, la grotte est considérée comme un lieu de ressourcement, qui fait jonction entre les dimensions terrestres et célestes. Elle est même une porte sur les outre mondes. C’est pourquoi descendre dans la grotte est souvent synonyme de quête, de rituel ou de régénération. Est-ce que vous allez chercher quelque chose de particulier dans la grotte de Bédeilhac ?

LS : Pas de manière précise. Même si je sens que le passage dans la grotte va être une étape importante dans la rencontre de la forme humaine et de l’humain en général dans mon travail. Je me dis que mes œuvres précédentes ont peut-être été comme des esquisses préparatoires avec les personnages en ongles, puis les dessins de poussières. Il y a aussi les bustes que je fais en ce moment pour préparer Bédeilhac. Je vois qu’il y quelque chose qui arrive qui est de l’ordre de la peuplade. Comme si j’allais basculer dans une autre étape de mon rapport à l’humain et à la figure. La grotte est un endroit très fort qui catalyse beaucoup de choses que j’ai traversées. Elle croise aussi différente histoire, dont celle de la seconde guerre mondiale toujours présente avec le bunker, mais qui est en quelque sorte aspirée par le vortex temporel qu’elle incarne. Je me demande si ce n’est pas une transition vers une autre possibilité de figurer l’humain de manière plus nette. Après la reconstruction, la réparation et le soin, qui dit que ma première véritable peuplade ne va pas sortir de la grotte de Bédeilhac ? Dans ce qui serait alors pour moi une sorte de rite de passage pour aller à la rencontre d’une nouvelle humanité.