Terres volatiles

 

L’année 2019 marque un tournant pour Lionel Sabatté dans son travail de sculpteur, investissant ses efforts dans la réalisation d’oiseaux en bronze, d’abord sous forme d’études (MartyrsInséparables solitaires) puis prenant des dimensions plus importantes comme en témoigne la Grue exposée dans la cour d’entrée de la Fondation Bullukian à Lyon dans le cadre du parcours artistique « Qui sait combien de fleurs ont dû tomber » organisé dans trois lieux de la ville de Lyon, le Nouvel Institut Franco-Chinois, la Fondation Bullukian et les Musées Gadagne, ainsi que les deux oiseaux de bronze : Terres volatiles et Le dormeur du Val, exposés au Jardin des Plantes de Toulouse dans le cadre de l’exposition « Lionel Sabatté. Sculptures ».

Lionel Sabatté renouvelle la pratique classique du bronze avec une série d’oeuvres s’inscrivant dans une réflexion sur la matière, celle des sculptures mais aussi des dessins pour lesquels Lionel Sabatté a l’habitude d’utiliser des matériaux pauvres, volatiles et parfois d’aspect fragile. Leur pouvoir d’évocation est ainsi décuplé : ils nous questionnent sur notre propre matérialité, notre rapport au temps, ainsi qu’à l’histoire. Le bronze, matériau solide, prend le contrepied de ces matériaux : il devient le garant de l’intemporalité. Il est l’un des matériaux privilégié de la sculpture dite « classique » et traverse les siècles et l’Histoire de l’art. On imagine ainsi des oiseaux ayant jalonné les siècles, en provenance de contrées lointaines (qu’elles soient imaginaires, mythologiques, ou historiques), et dont le plumage flamboyant, par ses effets de matières et ses couleurs révélées par l’alchimie de son oxydation, nous invitent au voyage. On se le représente volontiers parmi les oiseaux pèlerins de la Conférences des oiseaux de Farid Attâr (1177) qui, dans leur périple, traversent l’une des routes de la soie… Faisant écho à la série des Rust painting (oxydations sur plaques de métal) initiée en 2018 par l’artiste, chaque sculpture en bronze bénéficie de cette technique du métal oxydé qui lui donne ainsi une dimension tellurique : les nuances de couleurs nous évoquent à la fois des îles, des territoires ou des cartographies imaginaires. Ces grands oiseaux « couleur de rouille » (dont l’exotisme emprunte aux récits de voyages de l’artiste qui a passé une partie de son enfance sur l’île de la Réunion) que l’on aurait pu croiser en rêve s’inscrivent toutefois dans notre réalité : leur plumage dessinerait presque un paysage vu du ciel, un continent qui, à force de concentration, deviendrait lisible à l’oeil du spectateur ayant déniché cette paréidolie cachée. Ils rendent hommage aux oiseaux migrateurs, évoquant les différents continents du globe, le voyage, la découverte, la connaissance, les échanges migratoires. Toute la beauté du monde s’y reflète : c’est elle qui nous transmet la fragilité de notre environnement. L’oeuvre se fait un hymne à la Terre qu’il nous faut savoir préserver.

Représentés en envol, les oiseaux nous rappellent également la créature du phoenix qui renait des flammes (qui ont par ailleurs servi à couler le bronze) mais aussi la grue qui, en Asie orientale, est un important symbole de sagesse. L’oeuvre ainsi créée se fait le pont entre tradition et innovation, et tente de nous conter l’histoire de la naissance et de l’évolution des savoirs-faire humains, des débuts de l’humanité à l’ère de l’Anthropocène.

Lisa Toubas