LE TISSU DE PEAU

A. V. À propos d’échange, de circulation, d’interconnexion d’êtres vivants dont tu viens de parler, il me semble que la pièce la plus emblématique soit le tissu. Des peaux de milliers de personnes sont rassemblées pour réaliser une œuvre unique, une toute nouvelle expérience que tu tentes à cette occasion. Est-elle placée symboliquement en toute fin d’exposition ?

L. S. Oui, c’est très important que cette pièce figure à la fin de l’exposition parce que c’est pour moi une pièce extrêmement positive, presque l’aboutissement d’une élévation. Il s’agit de fragments de peaux récupérées chez des podologues qui, mis bout à bout, constituent un grand tissu carré, suspendu, offert à la lumière traversante. Ce sont donc des peaux issues d’un soin, le même matériau utilisé pour les fleurs du grand arbre au début de l’exposition.

On parle de tissu social, et c’est aussi ici l’idée d’un rassemblement de corps, par le pied soigné, en contact avec le sol. Ce tissu est très lié aux pièces précédentes, sculpturales, car il s’agit concrètement de fragments de corps qui se réunissent, mais aussi de corps disparus, en ruine. Ces peaux sont translucides, jouent beaucoup avec la lumière et font que le tissu est un fin réceptacle d’énergie. Comme le mur dont je parlais précédemment, la peau est l’élément d’échange avec le monde, des individus entre eux. La forme est carrée parce que c’est la forme de l’idée par excellence. En Chine, le carré, c’est le ciel. Le temple du ciel (Yang) est carré, le temple de la terre (Yin) est rond. Le ciel est donc le Yang pur, l’énergie qui a besoin de la terre pour avoir une forme. J’aime beaucoup cette manière de voir les circulations d’énergies qui traversent ce tissu. Aboutissement de cette exposition, il annonce peut-être aussi la suite dans mon travail, car la majorité des œuvres sont de nouvelles productions.

Ce qui m’intéresse aussi dans cette œuvre, c’est le temps, celui de la création qui s’étire sur plus d’un an. C’est pour moi le tissu d’une époque, celle de l’épidémie de Covid-19 où le corps de l’autre est tenu à distance. Nous nous trouvons face au rassemblement des corps par la peau, intime et cachée. C’est aussi l’attente, un tissu comme celui tissé par Pénélope. Ici, ce n’est pas un retour que l’on attend, mais un nouveau voyage, un nouveau départ…

Interview avec Aurélie Voltz, directrice du MAMC+ Saint-Étienne Métropole avec Lionel Sabatté dans le cadre de l’exposition « Éclosion », 2021