Souffles oxydants
From 16/10/2010 to 10/11/2010
Galerie Patricia Dorfmann
solo show
Curated by Aurélie Voltz
Pour sa première exposition personnelle à la galerie Patricia Dorfmann, Lionel Sabatté présente une série de tableaux, de dessins, une vidéo et une sculpture qui témoignent de la pratique multiforme de cet artiste né en 1975, vivant et travaillant à Paris.
Coquilles et chouettes, mouches, araignées et jadis, le loup. Ces bêtes qui peuplent les toiles, dessins et sculptures de Lionel Sabatté, pourtant bien connues de nous, sont ici habitées d’une autre animalité, consciente et décidée. Souvent composées de poussière, de cheveux, d’ongles et de peaux mortes, ces particules humaines confèrent aux bêtes un air conquérant. L’homme est bien là, sous-jacent, sujet majeur. Atome, molécule, matière ou énergie, vecteur et porteur d’information, il active, met en lumière, transforme le monde devant lui.
La vie fourmille dans les toiles aux coquilles. Les gestes en spirales et la prédilection de l’artiste pour les liants provoquent éclaboussures, dégoulinures encore en train de sécher. Si la fluidité est instantanée, telle un snapshot, les composants donnent l’idée d’une vie déroulée à cent à l’heure. Les tons bruns sont en effet réalisés à l’aide d’un liquide ferreux mélangé à une solution bleutée à base d’oxygène, provoquant une rouille immédiate. Le procédé d’oxydation, qui ne semble appartenir qu’à une lointaine chimie, conditionne — entre parenthèses aussi — notre propre vieillissement. De ces coquilles s’échappent encore des flux, autant de projections de vernis ou de couleurs acidulées, immatérielles, fantasmées, à l’opposé de la rouille terrestre. Marmite de sorcière où mijote l’animalité, refuge, antre solitaire, boîte secrète, sombre habitation, pierre au dehors, nacre et chair au dedans, la coquille confère la rêverie d’une intimité toute physique. Physique et même viscérale, si l’on en croit l’accumulation, les nombreuses strates et textures des toiles aux milles mouvements. Dans la masse, quasi abstraite, des tourbillons, l’œil s’approche et distingue de minuscules fenêtres, parfois de petites mains, au trait matiériste, bien en surface. Cellules ou divisions, elles semblent certifier l’état de construction d’organismes vivants que sont ces escargots géants.
« La vie commence moins en s’élançant qu’en tournant », nous dit Gaston Bachelard. A l’origine des coquilles, une Tête chiromantique, réalisée à partir d’empreintes de lignes de vie en colle teintée. Peaux de colle superposées de sillons d’une centaine de mains, jeux de transparences et couleurs éthérées forment sur la toile un visage unique, aux yeux fermés, d’une douceur méditative. La spirale de la main donne l’idée d’un monde rond, intérieur et silencieux. Ce monde est également celui de la vidéo Neiges éternelles, diffusée sur une tour de quatre moniteurs. Ronds sont les flocons qui tombent dans un paysage blanc, apportant peu à peu la neige télévisuelle, jusqu’à saturer l’écran de pixels instables noirs et blancs. Ronds sont aussi les flocons qui tombent sur le paysage gris du moniteur du dessous, apportant la neige jusqu’à saturer l’écran d’une blancheur immaculée. Cette animation en boucle, interrogeant la matérialité des pixels comme l’on interroge des composants génétiques, les montre chaque fois plus irréguliers, plus insondables. Cosmologie, espace interstellaire, on attend le signal qui ne vient pas, recouvert aussitôt d’un autre vide, celui-là, blanc.
Les hommes, apparaissant ici et là dans les dessins, figurés par de petits amas de poussière ou par des fils de peinture chaire, sont parfois dominants, parfois dominés. Dompteurs, marionnettistes, figures masquées et autres noyades fluviales évoquent une possible aliénation environnementale et sociologique.
Pendant ce temps dans la nuit, la chouette veille. Dans sa noire vitrine, le plumage en peaux de pieds et l’ossature en ongles, son chant silencieux se dissipe. Symbole de la sagesse, elle sait bien que seule la fuite permet de découvrir des rivages inconnus.
Aurélie Voltz