Charbons fertiles
MAC Arteum, Châteauneuf-le-Rouge, France
17 septembre – 26 novembre 2016
Commissariat de Christiane Courbon.
« Pour la 3ème année consécutive, le mac ARTEUM s’inscrit dans la saison du dessin contemporain initiée par Paréidolie. Depuis 2014, des artistes y questionnent les notions d’espace du dessin et de dessin dans l’espace.
Saisi par la porosité qui se dégage entre les paysages environnants et ce lieu d’art situé sous la barre rocheuse du Cengle, dans une bâtisse du XVIIIème siècle, au-dessus de l’hôtel de ville de Châteauneuf le Rouge, au cœur d’un parc d’arbres dont certains sont plus que centenaires, Lionel Sabatté, en 2016, poursuit la réflexion dans un solo-show qu’il intitule : Charbons fertiles.
L’artiste, inspiré par les incendies qui ont ravagé la montagne Sainte Victoire et le Montaiguet, s’approprie la matière de bois carbonisés glanés sur ces sites, pour réaliser une série de dessins de sous-bois, de créatures hybrides, dans l’ambiance d’étrangeté qui habite son œuvre, mêlant le végétal et l’animal.
Déplacés de leur contexte originel, les bois brûlés prennent forme et sens sur des rapports d’échelle qui soulignent la relation entre le paysage extérieur et le relief proposé par la matière première. Rapport d’autant plus révélé que de petits personnages de peaux mortes et d’ongles en assurent l’ascension. L’artiste instaure un dialogue avec l’environnement proche : l’idée de la renaissance et de la transformation opère toujours dans son travail, dans un rapport à l’histoire de l’art qui renvoie à la tradition des paysages du romantisme allemand, de la peinture Taoïste, qu’il revendique. »
Christiane Courbon
Invité du mac ARTEUM, à Châteauneuf-le-Rouge, Lionel Sabatté bénéficie pour sa part d’une exposition personnelle qui lui permet de développer avantageusement sa réflexion. Au pied de la Montagne Sainte-Victoire, l’institution est située en une région propice au feu de forêt. De ce contexte, l’artiste tire les fils pour réaliser toute une série de pièces fondées sur les résidus calcinés des arbres. La référence au charbon, donc au fusain et par voie de conséquence au dessin, est explicite. A la manière de Sabatté, cela s’entend : c’est-à-dire à l’aune d’une démarche artistique que gouverne le concept de métamorphose. De fait, celui-ci n’a pas son pareil pour exploiter les ressources plastiques de matériaux les plus triviaux qui soient – tels la poussière du métro, des pièces de monnaie, des peaux mortes, de la filasse mêlée à du béton, etc. – et s’en servir à la composition d’œuvres totalement inédites. Il a ainsi donné forme à tout un monde animal lui insufflant un semblant de vie comme il réinvestit ici tout un lot d’arbres calcinés en les greffant de fleurs de coupures d’ongle. Leurs branches dénudées refleurissent tout soudain dessinant dans l’espace un faisceau de lignes vives, pleines d’une promesse printanière.
L’appropriation de ce matériau, symbole d’une destruction irréversible, a conduit par ailleurs Sabatté à s’en servir pour réaliser toute une série de dessins aux motifs végétaux et animaliers. Ce faisant, il donne à ce charbon l’occasion d’une nouvelle renaissance et pour tout dire d’une fertilité – comme l’atteste le titre de « Charbons fertiles » qu’il a choisi de donner à son exposition. C’est sa façon de nouer un dialogue avec la nature environnante, d’en célébrer la vitalité fondamentale et l’énergie secrète, en écho à ce que le dessin est toujours à la source d’un revival permanent de la forme. En parfait magicien, Sabatté orchestre encore d’autres tours en transformant ces morceaux de bois en de petites montagnes qu’escaladent de minuscules personnages faits d’ongles et de peaux mortes. La légèreté de leur silhouette le dispute à celle d’un simple dessin au trait tout en référant à toute une iconographie cultivée, prélude à la question de l’être dans son rapport au monde extérieur.
Tout l’art de Lionel Sabatté est requis par la dialectique du vivant et de l’artificiel. Ses dessins, ses sculptures, voire ses peintures procèdent d’une alchimie subtile qui met en exergue de façon plus ou moins évidente l’idée de flux. Entre forme et informe, l’artiste décline son œuvre à l’aune d’une transmutation, laissant faire la matière employée, sinon l’entraînant à sa propre surprise dans des jeux d’association imprévisibles. Dans tous les cas, il y va d’une invention plastique et d’un pari qui visent à redonner vie à tout ce qui pourrait passer pour fini ou perdu. Eloge du phénix.
Philippe Piguet