Loups de poussière

 

La Bête du Gévaudan

En 2019, l’artiste peintre, sculpteur et dessinateur Lionel Sabatté fut invité à partir sur les traces de la Bête du Gévaudan en Lozère par le Musée du Gévaudan. Situé à Mende, ce musée ouvre ses portes à l’horizon 2022. Il est dédié à l’animal légendaire de la région qui, selon les croyances, a été la cause de nombreuses attaques entre 1764 et 1767. Si les doutes persistent quant à son existence mais aussi quant à sa nature (s’agirait-il d’un loup, d’un animal exotique, d’un sorcier, ou bien encore d’un tueur en série ?) son ancrage dans la culture locale est quant à lui avéré. Qui de mieux pour réinterpréter cette figure si bien connue de la culture populaire que Lionel Sabatté, qui a su s’entourer depuis ses débuts de loups en poussière, tantôt paisibles, tantôt hurlant, la tête vers le ciel, et dont La Meute présentée en 2011 en Muséum d’Histoire Naturelle de la ville de Paris a vivement marqué les esprits, s’érigeant en un symbole de la réflexion que l’Homme peut porter sur sa condition et sur la place qu’il occupe dans l’environnement.

L’artiste, qui tâche de réhabiliter dans son travail des éléments que nous rejetons par usage, s’est très vite penché sur la poussière, et d’abord celle du métro Châtelet où chaque jour circulent des millions d’individus. Un matériaux au particularisme certain, qui s’il est chassé de l’espace domestique, est précieusement récolté par l’artistes qui l’emploie dans ses sculptures en hommage à tout ce qu’il représente : il est un symbole du temps qui passe, notamment. Amalgame de cheveux et de déchets, la poussière est l’apanage de nos modes de vie urbanisés. Lionel Sabatté tâche de prendre soin de ces moutons de poussière à qui il accorde une seconde vie, à travers la création de son bestiaire fantastique, composé de loups et de volatiles.

Une réhabilitation poétique de ce matériaux que les habitants de Mende ont pris plaisir à conserver et à mettre de côté pour les besoins de l’artiste qui a sollicité la participation de la région afin d’obtenir de la poussière locale. La Bête du Gévaudan a ainsi pris corps à partir des traces organiques infimes de l’ensemble des Mendois contenues dans cette poussière. Une poussière qui rassemble et qui a permis aux habitants de s’impliquer activement dans la réalisation de la Bête, créature qui avait pourtant suscité crainte et division au même endroit, des siècles passés.

Lionel Sabatté a utilisé ces moutons de poussière comme il l’aurait fait d’une palette de couleurs : les différentes textures ont servi à créer et figurer le pelage de la Bête, dans un jeu de nuances et de matières. Si ce lainage particulier confère à la créature un côté sauvage et indomptable, il n’en est pas de même de la posture adoptée par celle-ci qui, loin des préjugés que l’on pourrait avoir sur la Bête, n’est pas représentée dans une position d’attaque, d’agressivité. Probablement traquée, Lionel Sabatté a plutôt fait le choix judicieux de la représenter affamée, en difficulté. Sa cambrure évoque une posture de défense et de crainte. Chétive à l’image des animaux tels que les renards ou les loups qui parfois peinent à trouver à manger en pleine nature, elle se fait le symbole de nombreuses espèces sauvages encore mal comprises qui doivent constamment lutter pour leur survie.